Rapport d’activité de Droite

Rapport de Bernard Schlumberger, DMR de la région 4, alias Droite

RAPPORT d’ACTIVITÉ DE DROITE
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Délégué militaire de la Région R.4.
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Ce rapport sert de complément au compte rendu établi en Octobre 1944.

Parachuté avec l’Instructeur saboteur TARRARE, le 18 mars 1944 sur le terrain de CHÉNIER (Lot) après six essais et faux départs successifs.

Réceptionné par le Chef du Comité de Réception de CHÉNIER, nous sommes hébergés dans un petit hôtel à PARLAN (Corrèze). JACQUES (Pape II) Chef de la Section des Atterrissages et Parachutages de R.4. vient nous faire prendre 7 jours plus tard pour nous amener à Toulouse où il nous procure les premiers asiles et le contact avec le D.M.R. de R.3. CARRÉ qui s’occupait jusque là des 2 régions de MONTPELLIER et de TOULOUSE.

SITUATION DE LA RÉSISTANCE FIN MARS 1944

La Région R.4. qui comprend 9 départements : HAUTES-PYRÉNÉES, ARIÈGE, HAUTE-GARONNE, TARN, TARN-ET-GARONNE, LOT-ET-GARONNE, GERS, LOT, plus les fractions se trouvant à l’Est de l’ancienne ligne de démarcation des départements des BASSES-PYRÉNÉES, des LANDES et de la GIRONDE, est peuplée de gens très divers dont les velléités de Résistance sont très dissemblables. D’une façon générale, on peut dire que les régions des Pyrénées et du Massif Central étaient très résistantes, alors que la plaine Centrale comprenait d’avantage de collaborateurs, surtout dans les villes comme TOULOUSE, PAU, TARBES, MONTAUBAN, AGEN, CASTRES. Cependant c’est aussi dans ces villes que séjournent en 1944 le plus de réfugiés du Nord et de l’Est qui à de très rares exceptions près forment des éléments actifs et patriotes que l’on retrouve dans tous les groupements de Résistance.

Les principaux mouvements de notre Région étaient les suivants :

COMBAT : De loin le plus ancien remontant à 1940, n’ayant aucune couleur politique. C’est le mouvement le plus important de la Région.

LIBÉRATION : A tendance politique plus accentuée vers la gauche.

FRANC-TIREUR : De même plus politique

Ces trois mouvements s’étaient réunis en 1943 pour former les M.U.R., Mouvements Unis de Résistance. Grâce à un Chef très capable, François VIRDIER, malheureusement pris par la Gestapo et fusillé fin 1943, les M.U.R. avaient pris une place prépondérante en R.4.

Cependant en Mars 1944 ils étaient en déclin, leur Chef GAUTHIER BOUCONNE n’avait pas le dynamisme voulu et le Directoire de 3 membres qui dirigeaient l’organisation s’occupaient plus de politique que de véritable Résistance.

Ce Directoire comprenait : GAUTHIER, MARIN et FLORIAN. La partie militaire des M.U.R., à savoir la direction des Maquis de l’A.S., des Groupes Francs G.F., était tenue par ROSETTE, Chef de l’Action avec son adjoint CARTON, par CHÉNIER, PASCAL et CHOPIN, Chefs des Maquis.

Les M.U.R. pouvaient compter sur environ 17.000 Adhérents à peine 200 étaient correctement armés. Les Maquis se trouvaient surtout dans les Départements du TARN, du TARN-et-GARONNE, du LOT-et-GARONNE, du LOT, du GERS.

ORA : Cette organisation appelée Organisation de la Résistance de l’Armée, était issue de l’Armée de l’Armistice et fonctionnait sur des bases militaires. Ses membres étaient soit des officiers, Sous-Officiers, soldats d’active ou de réserve, ou encore des Patriotes qui ne voulaient pas faire de politique. Grâce aux attaches que l’ORA avait, aussi bien

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à ALGER qu’à LONDRES et surtout grâce au dynamisme de son Chef GARRIGUES (DAVOT, le BORDELAIS, CHAINETTE) l’ORA en R.4. comprenait de 5 à 6.000 adhérents dont 500 au moins étaient armés et bien encadrés. C’est dans les Pyrénées, TARBES et PAU dans le GERS, dans les LANDES et la HAUTE-GARONNE que nous avions les principaux centres de l’ORA.

F.T.P.F. : Ces derniers étaient relativement peu nombreux à cette époque, il y en avait surtout à CARMAUX et dans le Région de TOULOUSE. Leur armement était très insuffisant, à peine quelques mitraillettes prises à d’autres groupements et quelques armes prises aux Allemands. Jusqu’à cette époque en effet les FTP n’avaient pas été ravitaillés en armement par le BCRA.

C’est au mouvement FTP que se rattachaient aussi les Espagnols qui possédaient des Maquis dans l’ARIÈGE, notamment. Les FTP et Espagnols étant très surveillés par la Police de VICHY et la GESTAPO se montraient beaucoup plus réservés, le contact avec leurs Chefs responsables était excessivement difficile à obtenir, et leurs effectifs réels étaient beaucoup plus importants que ceux qui étaient connus en Mars 1944 et qui ne dépassaient pas 1.000 hommes.

A.S. VENI : Ce groupement était formé par des dissidents de l’A.S. sous les ordres du Colonel VENI. Il comprenait 200 adhérents dans le LOT, 100 à CARMAUX et 50 dans le LOT et GARONNE. L’A.S. VENI était sous la dépendance directe des agents du W.O. recevait des parachutages spéciaux et prioritaires se trouvait donc de ce fait très bien armé.

En R.4. à TOULOUSE et dans les autres villes surtout la Gestapo était très active; la proximité de la Frontière des Pyrénées avait incité l’ennemi à renforcer ses agents dans la Région. L’indiscrétion du Toulousain incapable de garder sa langue, facilitait la tâche de l’Allemand. De plus les villes étaient absolument infestées d’agents français travaillant pour l’ennemi, de miliciens dont l’action se trouva renforcée par l’arrivée en Mai de l’Intendant de Police MARTY.

Par contre la Police, surtout à l’échelon Inspecteur, Gardien ou Gendarme était toute dévouée à la Résistance et c’est grâce à cet état de fait que nous avons pu contre-balancer l’action de l’ennemi.

La situation de l’armement en R.4. était catastrophique, les parachutages étaient rares. La S.A.P. se démenait aussi bien que possible ayant fait homologuer un très grand nombre de terrains. Cependant, rien n’arrivait de LONDRES, la distance était, parait-il un gros obstacle à notre approvisionnement, et quant aux parachutages venus d’ALGER ils étaient à cet époque l’apanage exclusif de l’ORA. Un très gros travail avait été fait avant mon arrivée en R.4. par PAPE d’abord qui avait cumulé les fonctions de D.M.R. et de Chef d’opérations, PAR CARRÉ ensuite qui en plus de sa région R.3. avait pris en mains R.4.

Grâce à CARRÉ, j’ai eu immédiatement dès mon arrivée à TOULOUSE les contacts nécessaires, ce qui m’a permis de perdre le moins de temps possible. C’est après avoir vu tout le monde à TOULOUSE que je suis parti avec CARRÉ à LYON qui m’a donné la possibilité d’y voir POLYGONE mon Chef direct. C’est aussi grâce à CARRÉ que j’ai eu une “couverture” réelle et de nouveaux papiers d’identité.

Ma mission principale et première était la mise en place des PLANS et par priorité du PLAN VERT (Coupure des voies ferrées au Jour J). D’autres Plans TORTUE (attaque des convois) MOMIE (neutralisation des sabotages allemands au moment de leur départ) VIOLET (coupure des télécommunications) étaient prévus.

C’est donc au PLAN VERT que je me suis attaqué dès le début après m’être installé, avoir remis TARRARE à la disposition de CHOPIN Chef Maquis et avoir monté avec PAPE II mon réseau de transmissions dont

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l’implantation avait été en partie effectuée par FAUCILLE, Instructeur saboteur qui m’avait précédé en R.4. de 1 mois 1/2.Le PLAN VERT consistait en une série de 30 coupures des voies de la Région, coupures dont les emplacements approximatifs avait été choisis par les services du Planning de LONDRES.

L’ORA avait déjà reçu toute l’implantation de ce Plan, mais les MUR n’en avaient pas eu connaissance. L’ORA ne possédait pas les éléments suffisants pour mener à bonne fin toute la tâche et de plus il n’y avait aucune raison qu’elle soit seule à faire ce travail.

J’ai donc cherché à réunir les représentants de l’ORA et des MUR en une conférence pour répartir à chaque groupement ses tâches. Les FTP que j’avais essayé de contacter, n’ayant pu être touchés, nous sommes parvenus à mettre sur pied 2 réunions dont la 2° fin AVRIL devait me donner des résultats positifs. Après près de 4 heures de discussion en reprenant chaque coupure une p??? nous sommes arrivés à une entente et une répartition équitable des missions.

Les modalités de déclenchement, les délais d’exécution après réception de la phrase convenue venant de Londres avaient été arrêtés dans tous les détails. En sortant de cette réunion, je me sentais tout heureux et m’empressais de rédiger un câble pour LONDRES. Malheureusement je n’étais pas au bout de mes peines car, dès le lendemain, GARRIGUES, Chef de l’ORA qui n’avait pu assister à la réunion, désavouait son représentant et n’acceptait pas les accords intervenus. Tout était donc remis en cause. Il fallut toute la persuasion et l’autorité de TANGENTE, Chef direct de GARRIGUES, et une autre semaine de travail pour remettre sur pied un accord qui fut accepté de très mauvaise grâce par le Chef ORA.

A mon arrivée à TOULOUSE, j’avais été muni de cristaux de radio pour le réseau de GARRIGUES appelé CHAINETTE par LONDRES, ainsi que pour mon propre réseau que je devais partager avec la S.A.P. Grâce au travail préparatoire de FAUCILLE et surtout grâce à l’énergie et à la débrouillardise de mon Chef radio LOUIS, tué plus tard à FRANCAZAL dans un accident d’atterrissage, je puis 12 jours après mon arrivée à TOULOUSE, envoyer à LONDRES mon premier câble sur mon réseau. C’est au début d’Avril lors de mon voyage à LYON avec CARRÉ que je suis contacté par HERCULE, envoyé d’ALGER, pour coordonner des chaînes radio. HERCULE veut tout modifier et s’occupe même des questions extra-radio à savoir : Distribution d’armes, codification de la mission des DMR, etc…

Cependant POLYGONE de son côté, CARRÉ et moi du nôtre, nous demandons des précisions à LONDRES qui n’entérine pas les décisions d’HERCULE lequel rentre à ALGER après m’avoir laissé un radio pour mes relations avec l’Afrique du Nord, que je mets à la disposition de GARRIGUES, n’en ayant pas l’emploi à ce moment là.

Mon installation matérielle se perfectionne, j’ai un portefeuille d’assurances qui me sert de couverture, CARRÉ m’a laissé 3 Inspecteurs de Police dont le rôle consiste à me renseigner et à me suivre dans la rue pour dépister les gens qui s’intéresseraient trop à ma personne et à aider mes agents de liaison. J’ai en effet plusieurs agents de liaison dont l’un fait la navette entre LYON et TOULOUSE, une boîte aux lettres, 3 logements différents. Ceci n’empêche pas qu’un jour à midi alors que j’avais eu des rendez-vous depuis 8 heures de me faire prendre dans une rafle organisée par la POLICE anti-terroriste. Sur le vu de ma carte d’identité qui est encore celle de LONDRES (nous sommes au 4 avril) je suis amené au Commissariat et interrogé. Heureusement que l’Inspecteur qui m’interroge a été la veille prévenu à la B.B.C. que son nom était retenu par les patriotes et flairant qu’il a à faire à un clandestin n’insiste pas et me relâche 4 heures plus tard.

Jusqu’au 20 avril je n’ai pas d’Adjoint et je code et décode mes câbles et courriers. Je ne me déplace à TOULOUSE qu’à bicyclette, et dans la région en auto avec une carte d’Inspecteur de Police. C’est le 20 avril sur les conseils de CARRÉ, que je me décide à prendre CARTON comme adjoint. CARTON en effet n’est plus Chef de l’Action et il m’apporte en plus de sa connaissance unique de la Résistance R.4. toute son organisation, son corps-franc, ses logements et son service auto.

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Une forte activité politique se dessine au cours de ce mois d’Avril, qui affecte surtout les M.U.R.

Les militants de l’A.S. reprochent à leurs dirigeants de les laisser dans l’inaction et de les garder en réserve pour le Jour “J”. Par contre les F.T.P. se remuent beaucoup, multiplient les sabotages et attaques de postes ennemis. Dans le département du LOT nous trouvons à ce moment PHILIPPE comme Chef Départemental Maquis. C’est un Chef dynamique et très actif, aussi passa-t-il avec tous ses effectifs qui dépassent 500 hommes au Groupement F.T.P.F.

Cet incident et d’autres similaires alertent les dirigeants nationaux MUR qui se rendent compte du danger qu’ils courent de perdre leurs meilleurs éléments. C’est ainsi qu’à PARIS est décidée la création des C.F.L. Corps Francs de la Libération et des M.P. Milices Patriotiques, qui devront grouper les éléments MUR Maquis et A.S. en déformation plus active et dont l’action devra commencer de suite et non pas attendre le Jour “J”.

C’est RAVANEL alias VERDUN qui arrive à TOULOUSE avec la mission de monter au sein des MUR cette nouvelle organisation. Reçu assez fraîchement au début par les dirigeants locaux, il se met aussitôt à l’ouvrage et la transformation des MUR commence. Il est à regretter que ceci n’ait pas été fait plus tôt car il reste très peu de temps jusqu’au débarquement que nous sentons tous venir et mes craintes sont grandes de nous voir arriver à cette date alors que la pagaille règne encore au sein de Mouvements de Résistance le plus important.

C’est à cette époque là, fin Avril que se situe l’incident du bombardement de la Poudrerie de TOULOUSE. En effet j’avais reçu de LONDRES des ordres très précis concernant le sabotage de cette usine, ordre que je transmis aux Chefs MUR d’abord, à RAVANEL ensuite. Pas suite de promesses d’exécution successives j’étais parvenu à retarder le bombardement de près d’un mois. Le 28 avril enfin RAVANEL me fait savoir que l’usine a été sabotée avec un plein succès. D’après une enquête faite par un ingénieur de la Poudrerie travaillant pour moi je déduis cependant que le sabotage est nettement insuffisant, qu’il ne correspond pas à ce nous a été demandé et que, de plus la Poudrerie ne subira qu’un arrêt de 8 jours de fabrication, ce qui d’ailleurs est confirmé par une autre source. Je suis donc obligé d’en référer à LONDRES. La réponse est immédiate et j’ai à peine décodé le câble m’annonçant le bombardement de la Poudrerie que les sirènes de TOULOUSE retentissent et que l’opération commence. Ce bombardement qui aurait pu être évité si le sabotage avait été bien fait me sera reproché de nombreuses fois par la suite.

Ma vie clandestine fin Avril s’est nettement perfectionnée, je ne mange plus au Restaurant, j’ai 2 popotes différentes, l’une à Midi où je rencontre toujours mon Adjoint, une autre le soir où je partage mes repas avec le Chef du S.R. M.U.R. qui ne me quittera plus jusqu’à la Libération et grâce auquel je suis toujours au courant de ce qui s’est passé dans la journée. Je fais avec GARRIGUES et CARTON une tourné dans les divers départements pour voir les différents Chefs de l’O.R.A. au milieu de leurs hommes. Je les trouve assez bien équipés en nantis d’un moral magnifique.

Une autre tournée qui me fait rencontrer les chefs C.F.L. ne m’apporte pas la même impression d’ordre et de discipline.

Il est vrai que la transformation des M.U.R. évoquée plus haut est en cours et que beaucoup de Chefs locaux, ne mettent pas toute la meilleure volonté à suivre les directives qui leur sont donnés. C’est ainsi que le Maquis de la Montagne Noire qui a cette époque comprend environ 300 adhérents rompt avec les M.U.R. se dit indépendant. Contacté par un Agent du W.O. MATHIEU, la Montagne Noire reçoit aussitôt des armements et les parachutages se multiplient au Pic du Nord.

A la suite des diverses tournées dans les Départements, je demande d’urgence des parachutages sur toutes les régions de Maquis. les résultats de ces demandes sont maigres. On me répond que l’on s’occupe de moi mais que la Région R.4. n’est plus dans la zone d’action possible de LONDRES et que c’est à ALGER qu’incombe le soin de me ravitailler. ALGER cependant manque, parait-il, d’avions pour envoyer des parachutages en R.4. et les seuls largages d’Afrique du Nord sont faits au profit de l’ORA.

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Au début d’Avril j’avais reçu un saboteur CHARRETTE, jeune garçon plein de bonne volonté et très courageux. De plus CARRÉ m’avait repassé un autre agent TREMIE, brûlé à MONTPELLIER. Ces deux garçons ont travaillé à TOULOUSE et dans le LOT-et-GARONNE. Le 28 Mai ils étaient à TOULOUSE et je leur payais leur solde, malheureusement 2 jours plus tard ils étaient arrêtés en ville et amenés en Allemagne un peu avant la Libération.

TARRARE par contre manquant totalement d’esprit de discipline avait jugé bon de partir à LYON où il lui était arrivé une affaire invraisemblable avec la Milice. De retour à TOULOUSE contre mon ordre formel, je le remettais à RAVANEL qui l’envoya dans la LOT.

Quant à FAUCILLE il était par malchance tombé dans une rafle de la Gestapo et s’en était sorti avec 3 balles dans le ventre, après avoir tué 4 ennemis au moins. Jusqu’au 15 Mai FAUCILLE était en traitement et malgré une déficience physique très nette avait de grands projets pour le Jour “J”., projets qu’il a d’ailleurs mis en application. En convalescence à la campagne FAUCILLE avait monté une École où il instruisait des Patriotes et leur apprenait le métier de saboteur et de Chef. Une visite à cette école que je fis fin Mai, m’apporta une preuve nouvelle, s’il en était besoin, des qualités de cet agent.

Dès le début de ma mission j’avais sondé le terrain et étudié avec les divers intéressés la question des F.F.I. En effet alors que dans d’autres régions, R.1. notamment, il existait une direction unique de la Résistance, en R.4. nous avions 4 mouvements bien distincts.

Cependant l’intransigeance de divers Chefs et surtout de l’un deux, GARRIGUES, ne permettait pas la fusion tant désirée. Le renforcement de l’autorité et de l’importance de celui-ci d’abord par la mise à sa disposition d’un réseau radio autonome et de plus le fait qu’il recevait des parachutages spéciaux au même titre que les Maquis approvisionnés par le W.O. conféraient à GARRIGUES une importance exagérée.

Le Chef de l’O.R.A. ne voulait pas accepter de patron au-dessus de lui. D’autre part il n’était pas possible de le désigner comme Chef F.F.I. les MUR le voyant d’un mauvais œil et de plus ses effectifs étant nettement inférieurs à ceux des CFL. La question F.F.I. avait été agitée à diverses reprises précédemment. Depuis Janvier 1944 divers accords avaient été signés, notamment les accords ROSETTE mais ils avaient été désavoués par le Directoire MUR ou dénoncés par GARRIGUES.

Un autre écueil était l’impossibilité totale de contacter les Chefs F.T.P.F. responsables, et si même grâce à quelque Adjoint je parvenais à avoir une promesse de rendez-vous, la rencontre n’était jamais possible et le Chef F.T.P.F. responsable se dérobait in-extrémis.

C’est une semaine avant le débarquement qu’arrivait à TOULOUSE une mission du COMAC formée de FOUCHE, SALARD, MARY (TANGENTE) chargée de mettre sur pied la question des F.F.I. RAVANEL, Chef du CDL, CASSOU, Commissaire de la République. Abordant le problème par la base il est d’abord question de coopération plus étroite, des accords et des déclarations communes sont signées. Puis on passe à la nomination du Chef, GARRIGUES annonce aussitôt qu’il ne veut pas être Chef F.F.I., espérant que RAVANEL fera de même. Le 3 Juin, coup de théâtre, au cours de la dernière réunion SALARD annonce que RAVANEL sera nommé Chef F.F.I. Aussitôt je regarde MARY d’abord, GARRIGUES ensuite qui ne se récrient ni l’un ni l’autre. A la sortie de la réunion je me promène 2 heures durant avec FOUCHE et SALAR à travers TOULOUSE, essayant de leur démonter que cette nomination est impossible que RAVANEL n’est pas qualifié pour remplir cet emploi. Je leur demande de trouver quelqu’un de neuf inconnu dans la Région qui coifferait et RAVANEL et GARRIGUES et qui de plus aurait l’assentiment des FTP car la Délégation du COMAC n’avait pas non plus pu toucher les FTP de R.4.

Le lendemain 4 juin je vois le Général THENARD qui avec MARY et GARRIGUES me disent ne pas être d’accord non plus pour la nomination de RAVANEL. Je câble à LONDRES le résultat de ces diverses entrevues et sur ces entrefaites nous arrivons au 6 juin.

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Je rejoins mon P.C. le 8 juin auprès de mes radios que j’ai envoyés à VABRE dans le TARN. J’ai à ma disposition un broadcast et un radio venu de LONDRES, THIBETAIN qui malheureusement ne dispose que d’un appareil émetteur. La S.A.P. avec PACHA à FLEURANCE. GARRIGUES part aussi dans le sud du GERS et RAVANEL installe son P.C. à REVEL, à environ 60 Kms au sur du mien. Le 10 Juin le S.R. Régional MUR vient prendre place à côté de mon P.C.

A peine 24 heures après les phrases de déclenchement du PLAN VERT et de la guérilla les premiers résultats me parviennent; les coupures de voies sont partout exécutées dans des conditions de rapidité remarquables. A la fin de la semaine il ne circule pour ainsi dire plus de trains dans la Région et le PLAN VERT joue d’une façon parfaite.

La guérilla est en pleine exécution. TARBES pris puis relâché par l’O.R.A. ST-GAUDENS est tenu pendant plus de 3 jours et dans le LOT une seule colonne blindée Allemande se hasarde encore. C’est malheureusement celle que rencontre mon Adjoint CARTON qui convoie un camion d’armes et qui est fusillé le 8 juin à ST. CERE (Lot) avec notre ami CHÉNIER.

Le 10 juin je revois RAVANEL et FOUCHE lequel me montre le télégramme du COMAC accréditant celui-ci comme chef F.F.I. Après une discussion orageuse, je suis obligé de m’incliner devant le fait accompli et j’en rends compte à LONDRES.

ROSETTE qui dans le TARN comptait monter un groupement mais qui ne veut pas contrecarrer la fusion de F.F.I. abandonne son projet et prend la place de CARTON devenant mon Adjoint.

Je cherche par tous les moyens à trouver d’autres postes de radio mais les liaisons avec CHÉNIER qui se trouve tout un dépôt parachuté pour l’O.R.A. en Avril, sont désormais impossibles, et de plus notre dépôt régional ayant été pillé par ce même groupement je n’arrive pas à mes fins. Contraint et forcé je laisse donc THIBETAIN dans le Maquis avec son unique appareil.

C’est le manque d’armement qui m’inquiète le plus et c’est le 12 juin que me parvient l’ordre KOENIG de faire rompre le contact aux troupes de guérilla. Quelques jours plus tard, je vois POLYGONE à ST. FERREOL et nous discutons la question des autonomes de GARRIGUES qu’il faut absolument lui retirer, avis que POLYGONE partage avec moi et qu’il promet de faire accepter par LONDRES. POLYGONE aussi m’avise que toutes les missions quelques qu’elles soient, notamment celles du W.O. dépendant de l’État-major du Général KOENIG. Ceci nous amène à parler du Maquis de la Montagne Noire qui contrairement aux consignes générales continue à jouer au dissident, position qu’il maintiendra jusqu’à la fin de Juillet.

A partir du 20 juin, mes déplacements sont de plus en plus fréquents, et si mon P.C. reste à VABRE, où j’ai un contact rapide avec mon radio, je me trouve cependant le plus souvent sur le selle de ma bicyclette roulant jusqu’à 120 Kms par jour pour contacter soit RAVANEL, soit la S.A.P. soit CASSOU ou tout autre résistant. Je continue à avoir des entrevues régulières avec le S.R. Régional et j’ai tout un système d’agents de liaison sur LYON, sur REVEL, sur TOULOUSE où j’ai un 2ème P.C.

Cependant l’armement tant promis n’arrive qu’au compte-goutte. GARRIGUES de son côté envoie des télégrammes fantaisistes à LONDRES et à ALGER, s’attribuant des faits d’armes éblouissants et des effectifs pour le moins grossis. Je tente vainement de le contacter sans aucun succès ce qui lui fait dire que je me cache dans un trou. Puis un beau jour il câble à LONDRES, un peu tardivement, que RAVANEL est un incapable n’ayant aucune connaissance militaire, comme GARRIGUES emploie alors le pseudo de VERDUN pour désigner le Chef F.F.I. LONDRES ne comprend pas qu’il s’agit de la personne à laquelle L’E.M. F.F.I. a donné le nom de HEXAGONE et c’est sur moi que retombe tout le drame sous la forme d’un câble de demande d’explications.

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Mes rapports avec RAVANEL deviennent plus difficiles, ce dernier me rend responsable du fait qu’il n’a pas de liaison autonome radio et pas d’armes, et pendant 15 jours, du 15 au 30 juillet, je n’arrive même plus à le contacter alors que je fais la navette continuelle entre son P.C. de REVEL et TOULOUSE et que de plus mon Adjoint passe 8 jours à TOULOUSE, à sa recherche. Ce n’est que le 3 août qu’enfin je puis le revoir et qu’après une explication franche et sincère nous pouvons recommencer le travail commun et rattraper le temps perdu. RAVANEL [?] d’ailleurs à ce moment là a constitué un E.M. satisfaisant et révisé ses idées sur le rôle Chef F.F.I. Régional.

C’est le jour de cette entrevue à TOULOUSE qu’au barrage allemand à l’entrée de la ville j’échappe de justesse à l’arrestation. En effet 2 agents de la Gestapo qui certainement possèdent mon signalement m’interrogent à fond et discutent en allemand pour savoir si je suis le suspect ou non.

Comme ils parlent de ma taille je me rassieds sur ma bicyclette et leur enlève ainsi la possibilité de me toiser. Heureusement que je venais de faire 40 Kms dans la poussière et que j’avais les yeux gonflés, c’est sur la remarque de l’un d’eux que j’avais des yeux “de vache” (Augen wiene Kuh) que je peux enfin repartir.

C’est le 20 Juillet que je reçois un câble m’avertissant que le Général KOENIG avait pris la décision de m’envoyer un DMR Adjoint pour s’occuper directement des transmissions de GARRIGUES. Cet agent n’est malheureusement arrivé qu’après la Libération.

Il avait été prévu tout un système de communications radio intérieur et j’avais reçu avant le 6 juin l’agent LIMOUSIN venant de LONDRES qui m’avait amené un opérateur sans appareil devant émettre de mon P.C. et établir ainsi des communications avec le Chef FFI d’une part, le SPA [SAP ?] d’autre part et l’E.M. F.F.I. de PARIS. Malheureusement les appareils qui devaient être trouvés en France n’ont jamais été récupérés et après avoir gardé ce radio à mon P.C. pendant un mois je le renvoyais à PARIS.

Le 8 juillet j’étais prévenu de l’arrivée de ROSE venu mettre en place le PLAN VIOLET (destruction des lignes de télécommunications). Quelques jours plus tard en effet, je voyais ROSE et avec les responsables PTT des CFL de TOULOUSE nous mettions au point cette question qui avait d’ailleurs déjà reçu un commencement d’exécution le 6 juin.

Parallèlement aux difficultés que je rencontrais avec GARRIGUES et l’ORA, PACHA Chef de la SAP avait d’autres ennui avec ce même officier. En effet LONDRES nous avait formellement déclaré par courrier et par câble que toutes les opérations de parachutages de LONDRES et d’ALGER devaient passer par la SAP et que l’ORA au même titre que les CFL avait été prévenu d’avoir à indiquer ses terrains et passer ses divers programmes à PACHA. On était en droit d’espérer que GARRIGUES s’inclinerait. Malheureusement il n’en était rien et PACHA rencontrait les mêmes difficultés que moi pour le contacter. Il est vrai que LONDRES et ALGER malgré nos déclarations incessantes acceptaient l’indiscipline de GARRIGUES et que celui-ci jusqu’à la Libération continuait à jouer au “Général Chinois”.

Une autre question angoissante était la question de l’argent. A partir du mois de Juillet par suite de la difficulté des communications intérieures il avait été décidé de faire parvenir les budgets des régions au DMR qui devait transmettre aux F.F.I. leurs diverses attributions tous les mois. Or, si j’ai pu distribuer 2.000.000 aux CFL et 2.000.000 à l’ORA la veille du débarquement, je n’ai pas reçu d’argent avant le 30 juillet et encore il s’agissait d’une somme qu’ALGER envoyait directement pour GARRIGUES, à savoir : 10.650.000 sur lesquels je remis 4.500.000 à l’ORA et 6.150.000 au CFL. Ceci pouvait représenter le budget de Juin. Par la suite je n’ai plus reçu que 13.500.000 et non 14.950.000. Le 10 août sur lesquels 9 millions de bons du Trésor ont malheureusement été été brûlés par un agent de liaison cerné par les Allemands dans une petite gare du TARN; opposition a été mise immédiatement sur ces bons par mon câble du

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[?]. Un avion devant m’apporter de l’argent s’est perdu corps et bien le [?] août. Ce manque d’argent avait contraint HEXAGONE à émettre pour 35 millions de bons et quant à GARRIGUES, il avait été obligé de faire de nombreuses dettes.

Mes transmissions sur LONDRES continuaient à fonctionner normalement. Le 30 juillet ALGER m’envoyait le radio BULUIS, malheureusement sans code, et j’étais obligé de lui donner les messages en clair.

Le 4 août PACHA réceptionnait 2 instructeurs saboteurs MANEGE et CABRIOLE dont le second par la suite montra quelques troubles mentaux. Je le mis aussitôt à la disposition d’HEXAGONE qui les employa dans l’ARIÈGE et le GERS.

Le 24 juillet je recevais par câble l’annonce que ma Région allait être coupée en deux, que les départements du TARN de l’ARIÈGE et de la HAUTE-GARONNE seraient rattachés à R.3. C’était une transformation que seules des questions militaires pouvaient justifier mais qui risquait d’apporter de très grandes difficultés économiques et politiques, mettant TOULOUSE sous la dépendance de MONTPELLIER. Après avoir vu tous les responsables, HEXAGONE, CASSOU, les membres du Directoire et en avoir prévenu POLYGONE, je protestais vivement à LONDRES. Le réponse de LONDRES du 8 août me donna satisfaction, les 3 départements en question passaient sous le commandement du Général COCHET mais rien n’était changé pour le reste de l’organisation de la Région R.4.

Jusqu’à la fin de Juillet le PLAN VERT déclenché le 6 juin et qui devait être maintenu 15 jours au maximum continuait à fonctionner. Nous attendions un débarquement dans le sud qui nous semblait tarder de trop. C’est le 26 juillet que le Général KOENIG nous fit parvenir de nouvelles phrases de déclenchement pour la reprise du PLAN VERT, pour le plan TORTUE, la Guérilla et le PLAN VIOLET. Ces diverses phrases qui ne comportait pas de mise en alerte préalable étaient immédiatement diffusées dans toutes les unités F.F.I.

POLYGONE qui, à l’époque revenait de LONDRES, m’avait prévenu à notre réunion du 15 juin à ST. FERREOL, que l’accord avait été conclu à LONDRES entre la W.O. et l’E.M. du Général KOENIG, en ce qui concernait les missions se trouvant en FRANCE. Le Général KOENIG prenait le commandement unique de toutes les missions et de ce fait les représentants W.O. se trouvant en FRANCE dépendaient des D.M.R. Par la suite les courriers de Juillet et des câbles du Général KOENIG des 16 juillet et 15 août me confirmaient ceci.

Le 14 août j’étais entré en contact avec HILAIRE qui se trouvait dans le GERS et son Adjoint et lui avaient mis sur pied le plan de travail en commun.

Diverses missions avaient été envoyées en R.4. La première, celle du Major MAC-PHERSON parachutée sur CHENIER dans le LOT avait été contactée par FAUCILLE que j’avais mis entièrement à la disposition de celle-ci et qui leur fut d’une aide précieuse.

La seconde, celle du Lieutenant-Colonel FULLER m’avait été signalée par HEXAGONE mais ni LONDRES ni ALGER ne m’en avaient parlé. Ce n’est que sur sa demande que le 25 juillet je recevais un câble m’avertissant officiellement de leur arrivée. FAUCILLE que j’envoyais immédiatement en détachement précurseur revint me dire que le Colonel américain n’avait pas besoin de mes services et que sa mission était bien précise. Je m’en plaignais à LONDRES dans un câble du 4 août répété le 16 août mais ne reçus aucune réponse. Puis le 6 août arriva dans le TARN un commando américain de 15 hommes que je remis au Chef F.F.I. Départemental avec lequel ils firent du très bon travail, délivrant le barrage du VINTROU ainsi que la ville de CASTRES en parfaite collaboration avec les F.F.I. du Cdt. DUNOYER de SEGONZAC.

La mission [?] DMD du TARN fut parachutée le 8 août, je leur fournissais immédiatement tous les contacts nécessaires et en attendant qu’HILAIRE me donne un poste radio, [?] AILE ayant perdu ses bagages, le DMD du TARN se servit de ma Centrale.

La mission AUBE arrivée le 28 juillet et reçue par un représentant de la SAP, VIDAME, Avait-elle reçue tous les contacts nécessaires [?]

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[?] elle travailla magnifiquement et prit part à la Libération de ce département.

Quant à la mission du TARN et GARONNE, elle ne fut parachutée que quelques jours avant la Libération et se mit aussitôt à la disposition de HILAIRE qui se trouvait non loin de là.

En ce qui concerne GOUPILLON, il n’arriva pour s’occuper des HAUTES-PYRÉNÉES qu’après la Libération ayant eu plusieurs faux départs.

L’activité des diverses formations F.F.I. depuis le 6 juin avait été intense. Les coupures de voies étaient maintenues souvent dans des conditions invraisemblables. Les Maquis du LOT avaient déboulonné et emmené les rails près de FIGEAC, on ne comptait plus les attaques de locomotives dont 14 furent mises hors d’état de marche, la même nuit à TOULOUSE, par une équipe commandée par FAUCILLE, le 23 juillet. Le train blindé dont le port d’attache était CASTRES disposait d’environ 50 kms de voies intactes et faisait depuis le 10 juin la navette entre cette ville et ST. SULPICE. La voie TOULOUSE-PAU était restée coupée 59 jours, puis à nouveau coupée le 15 août. Dans un tunnel du TARN 2 trains avaient été lancés l’un contre l’autre bloquant entièrement la circulation.

La guérilla aussi avait marché à fond et il n’est pas présomptueux de dire que si les armes avaient été en quantité suffisante aucun Allemand n’aurait pu partir libre de R.4. Le GERS fut entièrement contrôlé par la Résistance du 6 au 13 juin, date de l’ordre KOENIG de décrochage. La partie Nord du LOT ne vit plus un Allemand après le 10 Juin, les HAUTES-PYRÉNÉES, ST. GAUDENS, TARBES furent tenues plusieurs jours par l’O.R.A. L’ennemi réellement craignait le Maquis et les F.F.I. avaient parfaitement réussi à créer une atmosphère d’insécurité pour lui.

C’est lors de mon entrevue du 3 août qu’HEXAGONE me soumit son plan militaire qui devait être déclenché par la nouvelle série de phrases B.B.C. Ce plan qui a parfaitement fonctionné était le suivant : le groupement de l’ORA exécutant un ordre KOENIG bloquait la frontière Pyrénéenne empêchant le départ des Allemands, Miliciens et Collaborateurs.

Le groupement du LOT descendait du Nord de ce département en direction de TOULOUSE.

Le Groupement de l’Armagnac stationné dans le Lot-et-Garonne et le GERS marchait en direction de l’Est avec comme premiers objectifs AUCH puis TOULOUSE.

Le groupement du TARN progressant du Nord vers le Sud devait empêcher la fuite de l’ennemi en direction du seuil de NAUROUZE et de NARBONNE.

De durs combats eurent lieu où s’illustrèrent le groupement de l’ARMAGNAC qui prit d’assaut le pont de l’ISLE-en-JOURDAIN coupant ainsi la retraite de garnisons d’AUCH vers TOULOUSE. Dans l’ARIEGE un groupement espagnol se couvrit de gloire aux combats de RIMONT et de FOIX.

Quant aux F.F.I du TARN après avoir libéré CARMAUX et ALBI ils forcèrent la garnison de CASTRES à capituler faisant 3.000 prisonniers.

La valeur combattive des F.F.I. de R.4. se montre ensuite sur le front de l’Est, la colonne du Colonel SCHNEIDER libéra AUTUN et fournit à l’Armée du Général de LATTRE le premier et le plus important des renforts F.F.I.

Le jour du 2ème débarquement, le 24 août, je me trouvais à CARRAMAN à côté de TOULOUSE, ayant déjà replié mon P.C. depuis 20 jours mais gardant toujours mes radios émetteurs à VABRE.

Le 19 août, je partais en vélo-moteur pour CHÉNIER et à ALBI j’étais arrêté et incarcéré par les Mongols qui s’apprêtaient à quitter la ville. Mon moyen de locomotion me fut pris et je me retrouvais prisonnier dans une caserne avec 12 autres Français.

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Comme nous étions trop nombreux dans une pièce on me mit dans la pièce voisine avec un autre prisonnier. 3 heures plus tard des sous-Officiers allemands amenaient les 10 hommes arrêtés avec moi. Au moment où les Allemands entraient dans la chambre où je me trouvais, je me cachais derrière un lit amenant l’autre prisonnier qui n’y comprenait rien. Ne nous voyant plus l’allemand partit et il ne nous resta plus qu’à attendre le départ complet de toute l’unité. C’était vraiment un tableau pittoresque que cette débâcle des Mongols perchés sur des voitures de toutes sortes depuis les camions gazo jusqu’à des voitures de tourisme sans pneu arrière en passant par des voitures de boueux et des vélos de toutes sortes. C’est à 2 heures que je sortais avec mon compagnon de la cerne entièrement vidée et j’assistais l’après-midi aux cérémonies de la Libération d’ALBI. Le lendemain j’étais à TOULOUSE où je retrouvais HEXAGONE et tout l’E.M. F.F.I. dans la ville libérée. Malheureusement CASSOU ne pouvait prendre son poste de Commissaire de la République ayant été blessé la veille par une des dernières patrouilles allemandes. Par la suite je reçus les premiers envoyés d’ALGER et m’occupais de loger les missions Alliées dans un hôtel réquisitionné à cet effet. Puis ce furent les premiers travaux de la liquidation, groupement de diverses missions et leur renvoi en Angleterre ou à PARIS, récupération du matériel, liquidation administrative qui se termina le 25 novembre.

Pour conclure cet exposé je crois de mon devoir de signaler quelles sont, à mon avis, les raisons qui ont rendu très difficile l’exécution de la mission qui m’avait été confiée.

Tout d’abord, manque de liaisons entre LONDRES et ALGER d’une part, cause d’envoi de missions avec des ordres différents, mission FULLER parachutée en HAUTE-GARONNE avec une mission DMR au lieu de DMD, manque de liaison pour les envois d’argent, d’autre part la Région R.4. n’ayant reçu en tout et pour tout que 24.900.000 du 6 juin au 19 août alors qu’il lui fallait au moins 75.000.000.

Ensuite manque de liaisons entre les services B.C.R.A. et W.O. et accords intervenus trop tardivement, ce qui causait un préjudice terrible à l’action du DMR qui aussi bien dans la MONTAGNE NOIRE que dans la HAUTE-GARONNE se heurtait à des organisations qui lui était impossible de contrôler.

Puis envoi beaucoup trop tardif des missions départementales qui n’ont pas eu le temps matériel nécessaire pour soulager le DMR dans son travail.

Enfin manque de parachutages d’armes sur les formations contrôlées par la Délégation Militaire Régionale.

Ceci cependant était des conditions que nous retrouvons dans toutes ou presque toutes les régions de FRANCE.

La Région R.4. par contre était nantie d’un obstacle spécial sur lequel le DMR ne pouvait éviter de butter; c’est la cas très particulier du Chef de l’ORA, qui soutenu par LONDRES et par ALGER échappait de ce fait entièrement au contrôle du DMR.

En principe, le DMR R.4. avait été envoyé auprès de tous les Mouvements de Résistance de sa Région; en pratique l’ORA avait son propre DMR qui n’était autre que son Chef qui quoique très bel entraîneur d’hommes n’aurait pas dû pouvoir cumuler les fonctions de DMR et de Chef de Groupement, ce qui était contraire à l’esprit dans lequel avaient été créées les Délégués Militaires Régionaux.

Fait à PARIS
Le 25 novembre 1944,
Le DMR R.4. DROITE
Signé : BRICE